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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/308

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faunes qui s’y ruaient parmi des femmes, en une bacchanale frénétique, disaient la toute-puissance de l’amour, dont les anciens se plaisaient à sculpter le symbole sur les tombes, pour affirmer l’éternité de la vie. Et un petit souffle de vent chaud passa dans la solitude ensoleillée et silencieuse du jardin, apportant l’odeur pénétrante des orangers et des buis.

— Quand on aime, on est si fort ! murmura-t-il.

— Oui, oui, vous avez raison, reprit-elle, souriante déjà. Je ne suis qu’une enfant… Mais c’est votre faute, avec votre livre. Je ne le comprends bien que lorsque je souffre… Tout de même, n’est-ce pas ? je fais des progrès. Puisque vous le voulez, que tous les pauvres soient donc mes frères, et qu’elles soient mes sœurs, toutes celles qui ont des peines comme moi !

D’ordinaire, Benedetta remontait la première à son appartement, et Pierre s’attardait parfois, restait seul sous le laurier, dans le léger parfum de femme qu’elle laissait. Il rêvait confusément à des choses douces et tristes. Comme l’existence se montrait dure pour les pauvres êtres que brûlait l’unique soif du bonheur ! Autour de lui, le silence s’était élargi encore, tout le vieux palais dormait son lourd sommeil de ruine, avec sa cour voisine, semée d’herbe, entourée de son portique mort, où moisissaient des marbres de fouille, un Apollon sans bras et le torse tronqué d’une Vénus ; et, de loin en loin, ce silence de tombe n’était troublé que par le grondement brusque d’un carrosse de prélat, en visite chez le cardinal, s’engouffrant sous le porche, tournant dans la cour déserte, à grand bruit de roues.

Un lundi, vers dix heures un quart, dans le salon de donna Serafina, il n’y avait plus que les jeunes gens. Monsignor Nani n’avait fait que paraître, le cardinal Sarno venait de partir. Et, près de la cheminée, à sa place habituelle, donna Serafina elle-même se tenait comme à l’écart, les yeux fixés sur la place inoccupée de l’avocat Morano,