Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

enregistrer la donation une fois pour toutes, sans avoir à intervenir, quelle que fût l’occasion, dans le gouvernement des États. Jamais Rome n’a été moins près de réaliser son rêve séculaire de domination universelle. Et, quand la Révolution française éclata, on put croire que la proclamation des droits de l’homme allait tuer la papauté, dépositaire du droit divin que Dieu lui avait délégué sur les nations. Aussi quelle inquiétude première, quelle colère, quelle défense désespérée, au Vatican, contre l’idée de liberté, contre ce nouveau credo de la raison libérée et de l’humanité rentrant en possession d’elle-même ! C’était le dénouement apparent de la longue lutte entre empereur et le pape, pour la possession du peuple : l’empereur disparaissait, et le peuple, libre désormais de disposer de lui, prétendait échapper au pape, solution imprévue où paraissait devoir crouler tout l’antique échafaudage du catholicisme.

Pierre terminait ici la première partie de son livre, par un rappel du christianisme primitif, en face du catholicisme actuel, qui est le triomphe des riches et des puissants. Cette société romaine que Jésus était venu détruire, au nom des pauvres et des humbles, la Rome catholique ne l’a-t-elle pas rebâtie, à travers les siècles, dans son œuvre politique d’argent et d’orgueil ? Et quelle triste ironie, quand on constatait qu’après dix-huit cents ans d’Évangile, le monde s’effondrait de nouveau dans l’agio, les banques véreuses, les désastres financiers, dans cette effroyable injustice de quelques hommes gorgés de richesses, parmi les milliers de leurs frères qui crevaient de faim ! Tout le salut des misérables était à recommencer. Mais ces choses terribles, Pierre les disait en des pages si adoucies de charité, si noyées d’espérance, qu’elles y avaient perdu leur danger révolutionnaire. D’ailleurs, nulle part il n’attaquait le dogme. Son livre n’était que le cri d’un apôtre, en sa forme sentimentale de poème, où brûlait l’unique amour du prochain.