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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/322

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apporté la villa au prince, oh ! une créature admirable, beaucoup plus jeune que son mari ; et l’on assure que Prada tenait le mari par la femme, à ce point que celle-ci se refusait, le soir, quand le vieux prince hésitait à donner une signature, à s’engager davantage dans une aventure dont il avait flairé d’abord le danger. Prada y a gagné les millions qu’il mange aujourd’hui d’une façon fort intelligente. Et quant à la belle Flavia, devenue mûre, vous savez qu’après avoir tiré une petite fortune du désastre, elle a renoncé galamment à son titre de princesse Boccanera, pour s’acheter un bel homme, un second mari beaucoup plus jeune qu’elle, cette fois, dont elle a fait un marquis Montefiori, lequel l’entretient en joie et en beauté opulente, malgré ses cinquante ans passés… Dans tout cela, il n’y a de victime que notre bon ami Dario, totalement ruiné, résolu à épouser sa cousine, pas plus riche que lui. Il est vrai qu’elle le veut et qu’il est incapable de ne pas l’aimer autant qu’elle l’aime. Sans cela, il aurait déjà accepté quelque Américaine, une héritière à millions, ainsi que tant d’autres princes ; à moins que le cardinal et donna Serafina ne s’y fussent opposés, car ces deux-là sont aussi des héros dans leur genre, des Romains d’orgueil et d’entêtement, qui entendent garder leur sang pur de toute alliance étrangère… Enfin, espérons que le bon Mario et cette Benedetta exquise seront heureux ensemble.

Il s’interrompit ; puis, au bout de quelques pas faits en silence, il continua plus bas :

— Moi, j’ai un parent qui a ramassé près de trois millions dans l’affaire de la villa Montefiori. Ah ! comme je regrette de n’être arrivé ici qu’après ces temps héroïques de l’agio ! Comme cela devait être amusant, et quels coups à faire, pour un joueur de sang-froid !

Mais, brusquement, en levant la tête, il aperçut devant lui le quartier neuf des Prés du Château ; et sa physionomie changea, il redevint l’âme artiste, indignée des abominations