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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/324

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livrées aux batailles des vents, toutes semblables à des cages vides. Puis, c’étaient des maisons terminées, mais dont on n’avait pas eu le temps d’enduire les murs extérieurs ; et d’autres qui étaient demeurées sans boiseries, ni aux portes ni aux fenêtres ; et d’autres qui avaient bien leurs portes et leurs persiennes, mais clouées, telles que des couvercles de cercueil, les appartements morts, sans une âme ; et d’autres enfin habitées, quelques-unes en partie, très peu totalement, vivantes de la plus inattendue des populations. Rien ne pouvait rendre l’affreuse tristesse de ces choses, la ville de la Belle au Bois dormant, frappée d’un sommeil mortel avant même d’avoir vécu, s’anéantissant au lourd soleil, dans l’attente d’un réveil qui paraissait ne devoir jamais venir.

À la suite de son compagnon, Pierre s’était engagé dans les larges rues désertes, d’une immobilité et d’un silence de cimetière. Pas une voiture, pas un piéton n’y passait. Certaines n’avaient pas même de trottoir, l’herbe envahissait la chaussée, non pavée encore, telle qu’un champ qui retournait à l’état de nature ; et, pourtant, des becs de gaz provisoires restaient là depuis des années, de simples tuyaux de plomb liés à des perches. Aux deux côtés, les propriétaires avaient clos hermétiquement les baies des rez-de-chaussée et des étages, à l’aide de grosses planches, pour éviter d’avoir à payer l’impôt des portes et fenêtres. D’autres maisons, commencées à peine, étaient barrées de palissades, dans la crainte que les caves ne devinssent le repaire de tous les bandits du pays. Mais, surtout, la désolation était les jeunes ruines, de hautes bâtisses superbes, pas finies, pas crépies même, n’ayant pu vivre encore de leur existence de géants de pierre, et qui se lézardaient déjà de toutes parts, et qu’il avait fallu étayer avec des complications de charpentes, pour qu’elles ne tombassent pas en poudre sur le sol. Le cœur se serrait, comme dans une cité d’où un fléau aurait balayé les habitants, la peste, la guerre, un bombardement, dont