Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/330

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monstrueux, un crime imbécile, que d’attrister sa vie par une promenade pareille. La vie était faite pour être vécue légère et aimable, sous le ciel clair. Il fallait l’égayer uniquement par des spectacles gracieux, des chants, des danses. Et, dans son égoïsme naïf, il avait une véritable horreur du laid, du pauvre, du souffrant, à ce point que la vue seule lui en causait un malaise, une sorte de courbature physique et morale.

Mais Benedetta, qui frémissait comme lui, voulait être brave devant Pierre. Elle le regarda, elle le vit si intéressé, si passionnément pitoyable, qu’elle ne céda pas, dans son effort à sympathiser avec les humbles et les malheureux.

— Non, non, il faut rester, mon Dario… Ces messieurs veulent tout voir, n’est-ce pas ?

— Oh ! dit Pierre, la Rome actuelle est ici, cela en dit plus long que toutes les promenades classiques à travers les ruines et les monuments.

— Mon cher, vous exagérez, déclara Narcisse à son tour. Seulement, j’accorde que cela est intéressant, très intéressant… Les vieilles femmes surtout, ah ! extraordinaires d’expression, les vieilles femmes !

À ce moment, Benedetta ne put retenir un cri d’admiration heureuse, en apercevant devant elle une jeune fille d’une beauté superbe.

— O che bellezza !

Et Dario, l’ayant reconnue, s’écria du même air ravi :

— Eh ! c’est la Pierina… Elle va nous conduire.

Depuis un instant, l’enfant suivait le groupe, sans se permettre d’approcher. Ses regards s’étaient ardemment fixés sur le prince, luisant d’une joie d’esclave amoureuse ; puis, ils avaient vivement dévisagé la contessina, mais sans colère, avec une sorte de soumission tendre, de bonheur résigné, à la trouver très belle, elle aussi. Et elle était en vérité telle que le prince l’avait dépeinte, grande, solide, avec une gorge de déesse, une vraie antique,