Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/331

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une Junon à vingt ans, le menton un peu fort, la bouche et le nez d’une correction parfaite, de larges yeux de génisse, et la face éclatante, comme dorée d’un coup de soleil, sous le casque de lourds cheveux noirs.

— Alors, tu vas nous conduire ? demanda Benedetta, familière, souriante, déjà consolée des laideurs voisines, à l’idée qu’il pouvait exister des créatures pareilles.

— Oh ! oui, madame, oui ! tout de suite.

Elle courut devant eux, chaussée de souliers sans trous, vêtue d’une vieille robe de laine marron, qu’elle avait dû laver et raccommoder récemment. On sentait sur elle certains soins de coquetterie, un désir de propreté, que n’avaient pas les autres ; à moins que ce ne fût simplement sa grande beauté qui rayonnât de ses pauvres vêtements et fît d’elle une déesse.

— Che bellezza ! Che bellezza ! ne se lassait pas de répéter la contessina, tout en la suivant. C’est un régal, mon Dario, que cette fille à regarder.

— Je savais bien qu’elle te plairait, répondit-il simplement, flatté de sa trouvaille, ne parlant plus de s’en aller, puisqu’il pouvait enfin reposer les yeux sur quelque chose d’agréable à voir.

Derrière eux venait Pierre, émerveillé également, à qui Narcisse disait les scrupules de son goût, qui était pour le rare et le subtil.

— Oui, oui, sans doute, elle est belle… Seulement, leur type romain, mon cher, au fond, rien n’est plus lourd, sans âme, sans au-delà… Il n’y a que du sang sous leur peau, il n’y a pas de ciel.

Mais la Pierina s’était arrêtée, et, d’un geste, elle montra sa mère, assise sur une caisse défoncée à demi, devant la haute porte d’un palais inachevé. Elle avait dû être aussi fort belle, ruinée à quarante ans, les yeux éteints de misère, la bouche déformée, aux dents noires, la face coupée de grandes rides molles, la gorge énorme et tombante ; et elle était d’une saleté affreuse, ses cheveux