Aller au contenu

Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/333

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

De la main, elle montrait, allongé dans l’herbe sèche, un grand gaillard, le nez fort, la bouche dure, qui avait les admirables yeux de la Pierina. Il s’était contenté de lever la tête, inquiet de ces gens. Un pli farouche creusa son front, lorsqu’il remarqua de quel regard ravi sa sœur contemplait le prince. Et il laissa retomber sa tête, mais il ne referma pas les paupières, il les guetta.

— Pierina, conduis donc madame et ces messieurs, puisqu’ils veulent voir.

D’autres femmes s’étaient approchées, traînant leurs pieds nus dans des savates ; des bandes d’enfants grouillaient, des fillettes à demi vêtues, parmi lesquelles sans doute les quatre de Giacinta, toutes si semblables avec leurs yeux noirs sous leurs tignasses emmêlées, que les mères seules pouvaient les reconnaître ; et c’était en plein soleil comme un pullulement, un campement de misère, au milieu de cette rue de majestueux désastre, bordée de palais inachevés et déjà en ruine.

Doucement, Benedetta dit à son cousin, avec une tendresse souriante :

— Non ne monte pas, toi… Je ne veux pas ta mort, mon Dario… Tu as été bien aimable de venir jusqu’ici, attends-moi sous ce beau soleil, puisque monsieur l’abbé et monsieur Habert m’accompagnent.

Il se mit à rire, lui aussi, et il accepta très volontiers, il alluma une cigarette, puis se promena à petits pas, satisfait de la douceur de l’air.

La Pierina était entrée vivement sous le vaste porche, à la haute voûte, ornée de caissons à rosaces ; mais un véritable lit de fumier, dans le vestibule, couvrait les dalles de marbre dont on avait commencé la pose. Ensuite, c’était le monumental escalier de pierre, à la rampe ajourée et sculptée ; et les marches se trouvaient déjà rompues, souillées d’une telle épaisseur d’immondices, qu’elles en paraissaient noires. Partout, les mains avaient laissé des traces graisseuses. Toute une ignominie sortait