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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/345

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froid, c’est l’excès de l’injustice sociale, la plus terrible école ou le pauvre apprend à connaître sa souffrance, s’en indigne et jure de la faire cesser, quitte à faire crouler le vieux monde !

Et Pierre trouvait encore, dans cette douceur du ciel, l’explication de saint François, le divin mendiant d’amour, battant les chemins, célébrant le charme délicieux de la pauvreté. Il était sans doute un inconscient révolutionnaire, il protestait à sa façon contre le luxe débordant de la cour de Rome, par ce retour à l’amour des humbles, à la simplicité de la primitive Église. Mais jamais un tel réveil de l’innocence et de la sobriété ne se serait produit dans une contrée du Nord, que glacent les froids de décembre. Il y fallait l’enchantement de la nature, la frugalité d’un peuple nourri de soleil, la mendicité bénie par les routes toujours tièdes. C’était ainsi qu’il avait dû en venir au total oubli de soi-même. La question paraissait d’abord embarrassante : comment un saint François avait-il pu naître jadis, l’âme si brûlante de fraternité, communiant avec les créatures, les bêtes, les choses, sur cette terre aujourd’hui si peu charitable, dure aux petits, méprisant son bas peuple, ne faisant pas même l’aumône à son pape ? Était-ce donc que l’antique orgueil avait desséché les cœurs, ou bien était-ce que l’expérience des très vieux peuples menait à un égoïsme final, pour que l’Italie semblât s’être ainsi engourdi l’âme dans son catholicisme dogmatique et pompeux, tandis que le retour à l’idéal évangélique, la passion des humbles et des souffrants se réveillait de nos jours aux plaines douloureuses du septentrion, parmi les peuples privés de soleil ? C’était tout cela, et cela fit surtout que saint François, lorsqu’il avait épousé si gaiement sa dame la Pauvreté, avait pu ensuite la promener, pieds nus, vêtue à peine, par des printemps splendides, au travers de populations que brûlait alors un ardent besoin de compassion et d’amour.

Tout en causant, Pierre et Narcisse étaient arrivés sur