Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/349

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être évitées. Et il fut disgracié, et depuis ce temps il a vainement imploré une audience de Léon XIII, qui, durement, a toujours refusé de le recevoir, comme pour le punir de leur aberration à tous deux, cette folie du lucre qui les avait aveuglés ; mais il ne s’est jamais plaint, très pieux, très soumis, gardant ses secrets, et s’inclinant. Personne ne saurait dire au juste le chiffre de millions que le patrimoine de Saint-Pierre a laissés dans cette bagarre de Rome, changée en tripot, et si les uns n’en avouent que dix, les autres vont jusqu’à trente. Il est croyable que la perte a été d’une quinzaine de millions.

Après des côtelettes aux tomates, le garçon apportait un poulet frit. Et Narcisse conclut en disant :

— Oh ! le trou est bouché maintenant, je vous ai dit les sommes considérables fournies par le denier de Saint-Pierre, dont le pape seul connaît le chiffre et règle l’emploi… D’ailleurs, il n’est pas corrigé, je sais de bonne source qu’il joue toujours, avec plus de prudence, voilà tout. Son homme de confiance est encore aujourd’hui un prélat, monsignor Marzolini, je crois, qui fait ses affaires d’argent… Et, dame ! mon cher, il a bien raison, on est de son temps, que diable ! 

Pierre avait écouté avec une surprise croissante, où s’était mêlée une sorte de terreur et de tristesse. Ces choses étaient bien naturelles, légitimes même ; mais jamais il n’avait songé qu’elles dussent exister, dans son rêve d’un pasteur des âmes, très loin, très haut, dégagé de tous les soucis temporels. Eh quoi ! ce pape, ce père spirituel des petits et des souffrants, avait spéculé sur des terrains, sur des valeurs de Bourse ! Il avait joué, placé des fonds chez des banquiers juifs, pratiqué l’usure, fait suer à l’argent des intérêts, ce successeur de l’Apôtre, ce pontife du Christ, du Jésus de l’Évangile, l’ami divin des pauvres ! Puis, quel douloureux contraste : tant de millions là-haut, dans ces chambres du Vatican, au fond de quelque meuble discret ! tant de millions qui travaillaient,