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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/350

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qui fructifiaient, sans cesse placés et déplacés pour qu’ils produisissent davantage, tels que des œufs d’or couvés avec une tendresse passionnée d’avare ! et tout près, en bas, dans ces abominables bâtisses inachevées du quartier neuf, tant de misère ! tant de pauvres gens qui mouraient de faim au milieu de leur ordure, les mères sans lait pour leur nourrisson, les hommes réduits à la fainéantise par le chômage, les vieux agonisant comme des bêtes de somme qu’on abat lorsqu’elles ne sont plus bonnes à rien ! Ah ! Dieu de charité, Dieu d’amour, était-ce possible ? Sans doute, l’Église avait des besoins matériels, elle ne pouvait vivre sans argent, c’était une pensée de prudence et de haute politique que de lui gagner un trésor pour lui permettre de combattre victorieusement ses adversaires. Mais comme cela était blessant, salissant, et comme elle descendait de sa royauté divine pour n’être plus qu’un parti, une vaste association internationale, organisée dans le but de conquérir et de posséder le monde !

Et Pierre s’étonnait davantage encore devant l’extraordinaire aventure. Avait-on jamais imaginé drame plus inattendu, plus saisissant ? Ce pape qui s’enfermait étroitement dans son palais, une prison certes, mais une prison dont les cent fenêtres ouvraient sur l’immensité, Rome, la Campagne, les collines lointaines ; ce pape qui, de sa fenêtre, à toutes les heures du jour et de la nuit par toutes les saisons, embrassait d’un coup d’œil, voyait sans cesse se dérouler à ses pieds sa ville, la ville qu’on lui avait volée dont il exigeait la restitution d’un cri de plainte ininterrompu ; ce pape qui, dès les premiers travaux, avait assisté ainsi, de jour en jour, aux transformations que sa ville subissait, les percées nouvelles, les vieux quartiers abattus, les terrains vendus, les bâtisses neuves s’élevant peu à peu de toutes parts, finissant par faire une ceinture blanche aux antiques toitures rousses ; et ce pape alors, devant ce spectacle quotidien, cette furie de construction qu’il pouvait suivre de son lever à son