Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/356

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conquérir le peuple, en se mettant avec lui contre les monarchies tombées. Mais irait-il jamais plus loin ? Ne se trouvait-il pas muré derrière la porte de bronze, dans la stricte formule catholique, où les siècles l’enchaînaient ? L’obstination y était fatale, il lui serait impossible de ne régner que sur les âmes, par sa force réelle et toute-puissante, ce pouvoir purement spirituel, cette autorité morale de l’au-delà, qui amenait l’humanité à ses pieds, qui faisait s’agenouiller les pèlerinages et s’évanouir les femmes. Abandonner Rome, renoncer au pouvoir temporel, ce serait changer le centre du monde catholique, ce serait n’être plus lui, chef du catholicisme, mais un autre, chef d’une autre chose. Et quelles pensées inquiètes, à cette fenêtre, si le vent du soir, parfois, lui apportait la vague image de cet autre, la crainte de la religion nouvelle, confuse encore, qui s’élaborait, dans le sourd piétinement des nations en marche, dont les bruits lui arrivaient à la fois de tous les points de l’horizon !

Mais, à ce moment, Pierre sentit que, derrière les vitres closes, l’ombre blanche, l’ombre immobile était tenue debout par l’orgueil, dans la continuelle certitude de vaincre. Si les hommes n’y suffisaient pas, le miracle interviendrait. Il avait l’absolue conviction qu’il rentrerait en possession de Rome ; et, si ce n’était pas lui, ce serait son successeur. L’Église, dans son indomptable énergie de vivre, n’avait-elle pas l’éternité devant elle ? D’ailleurs, pourquoi pas lui ? Est-ce que Dieu ne pouvait pas l’impossible ? Demain, si Dieu le voulait, malgré tous les raisonnements humains, malgré l’apparence de la logique des faits, sa ville lui serait rendue, à quelque brusque tournant de l’Histoire. Ah ! quelle fête à cette fille prodigue, dont il n’avait cessé de suivre les aventures équivoques, de ses yeux paternels mouillés de larmes ! Il oublierait vite les débordements auxquels il venait d’assister pendant dix-huit années, à toutes les heures et par toutes les saisons. Peut-être rêvait-il à ce qu’il ferait