Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/357

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de ces quartiers nouveaux, dont on l’avait souillée : les abattrait-il, les laisserait-il là comme un témoignage de la démence des usurpateurs ? Elle redeviendrait la ville auguste et morte, dédaigneuse des vains soucis de propreté et d’aisance matérielles, rayonnant sur le monde telle qu’une âme pure, dans la gloire traditionnelle des siècles passés. Et son rêve continuait, imaginait la façon dont les choses allaient se passer, demain sans doute. Tout valait mieux que la maison de Savoie, même une république. Pourquoi pas une république fédérative, qui morcellerait l’Italie selon les anciennes divisions politiques abolies, et qui lui restituerait Rome, et qui le choisirait comme le protecteur naturel de l’État, ainsi reconstitué ? Puis ses regards s’étendaient au delà de Rome, au delà de l’Italie, son rêve s’élargissait, s’élargissait toujours, englobait la France républicaine, l’Espagne qui pouvait l’être de nouveau, l’Autriche elle-même qui un jour serait gagnée, toutes les nations catholiques devenues les États-Unis d’Europe, pacifiées et fraternisant sous sa haute présidence de Souverain Pontife. Puis, dans le triomphe suprême, c’étaient enfin toutes les autres Églises qui disparaissaient, tous les peuples dissidents qui venaient à lui comme au pasteur unique, Jésus qui régnait en sa personne sur la démocratie universelle.

Pierre, brusquement, fut interrompu dans ce rêve qu’il prêtait à Léon XIII.

— Oh ! mon cher, dit Narcisse, voyez donc le ton des statues, là, sur la colonnade !

Il s’était fait servir une tasse de café, il fumait languissamment un cigare, retombé à ses seules préoccupations d’esthétique raffinée.

— N’est-ce pas ? elles sont roses, et d’un rose qui tire sur le mauve, comme si le sang bleu des anges coulait dans leurs veines de pierre… C’est le soleil de Rome, mon ami, qui leur donne cette vie supraterrestre, car elles vivent, je les ai vues me sourire et me tendre les bras, par