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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/383

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vue d’ambition démesurée dont l’infini devrait mettre au cœur des jeunes gens, enfermés là, la volonté de posséder le monde. Lui, qui était venu hostile à l’institution du prix de Rome, à cette éducation traditionnelle et uniforme si dangereuse pour l’originalité, resta séduit un instant par cette paix tiède, cette solitude limpide du jardin, cet horizon sublime où semblaient battre les ailes du génie. Ah ! quelles délices, avoir vingt ans, vivre trois années dans cette douceur de rêve, au milieu des plus belles œuvres humaines, se dire qu’on est trop jeune pour produire encore, et se recueillir, et se chercher, apprendre à jouir, à souffrir, à aimer ! Mais, ensuite, il réfléchit que ce n’était point là une besogne de jeunesse, que pour goûter la divine jouissance d’une telle retraite d’art et de ciel bleu, il fallait certainement l’âge mûr, les victoires déjà gagnées, la lassitude commençante des œuvres accomplies. Il causa avec les pensionnaires, il remarqua que, si les jeunes âmes de songe et de contemplation, ainsi que la simple médiocrité, s’y accommodaient de cette vie cloîtrée dans l’art du passé, tout artiste de bataille, tout tempérament personnel s’y mourait d’impatience, les yeux tournés vers Paris, dévoré par la hâte d’être en pleine fournaise de production et de lutte.

Et tous ces jardins dont Pierre leur parlait, le soir, avec ravissement, éveillaient chez Benedetta et chez Dario le souvenir du jardin de la villa Montefiori, aujourd’hui saccagé, autrefois si verdoyant, planté des plus beaux orangers de Rome, tout un bois d’orangers centenaires, dans lequel ils avaient appris à s’aimer.

— Ah ! je me rappelle, disait la contessina, à l’époque des fleurs, c’était une bonne odeur à en mourir, tellement forte, tellement grisante, qu’une fois je suis restée dans l’herbe, sans pouvoir me relever… Te souviens-tu, Dario ? tu m’as prise dans tes bras, tu m’as portée près de la fontaine, où il faisait très bon et très frais.

Elle était assise au bord du lit, comme à son ordinaire,