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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/384

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et elle tenait dans sa main la main du convalescent, qui s’était mis à sourire.

— Oui, oui, je t’ai baisée sur les yeux, et tu les as rouverts enfin… Tu te montrais moins cruelle en ce temps-là, tu me laissais te baiser les yeux autant qu’il me plaisait… Mais nous étions des enfants, et si nous n’avions pas été des enfants, nous aurions été mari et femme tout de suite, dans ce grand jardin qui sentait si fort et où nous courions si libres !

Elle approuvait de la tête, convaincue que la Madone seule les avait protégés.

— C’est bien vrai, c’est bien vrai… Et quel bonheur, maintenant que nous allons pouvoir être l’un à l’autre, sans faire pleurer les anges !

La conversation en revenait toujours là, l’affaire de l’annulation du mariage prenait une tournure de plus en plus favorable, et Pierre assistait chaque soir à leur enchantement, ne les entendait causer que de leur union prochaine, de leurs projets, de leurs joies d’amoureux lâchés en plein paradis. Dirigée cette fois par une main toute-puissante, donna Serafina devait mener les choses avec vigueur, car il ne se passait guère de jour sans qu’elle rapportât quelque nouvelle heureuse. Elle avait hâte de terminer cette affaire, pour la continuation et pour l’honneur du nom puisque Dario ne voulait épouser que sa cousine et que, d’autre part, ce mariage expliquerait tout, ferait tout excuser, en mettant fin à une situation désormais intolérable. Le scandale abominable, les affreux commérages qui bouleversaient le monde noir et le monde blanc, finissaient par la jeter hors d’elle, d’autant plus qu’elle sentait la nécessité d’une victoire, devant l’éventualité d’un conclave possible, où elle désirait que le nom de son frère brillât d’un éclat pur, souverain. Jamais cette secrète ambition de toute sa vie, cet espoir de voir sa race donner un troisième pape à l’Église, ne l’avait brûlée d’une pareille passion, comme si elle avait