Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/393

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détours, sa disparition brusque parfois, sa prise enfin dès qu’il tombe épuisé de fatigue ; et des chasses sans fusil, des chasses pour l’unique bonheur de courir à la queue de cette bête, de la gagner de vitesse et de la vaincre.

— Ah ! dit-il désespéré, est-ce imbécile d’être cloué dans cette chambre ! Je finirai par y mourir d’ennui.

Benedetta se contenta de sourire, sans un reproche ni une tristesse de ce cri naïf d’égoïsme. Elle qui était si heureuse de l’avoir tout à elle, dans cette chambre où elle le soignait ! Mais son amour, si jeune et si sage à la fois, avait un coin de maternité, et elle comprenait parfaitement qu’il ne s’amusât guère, privé de ses plaisirs habituels, séparé de ses amis qu’il écartait, dans la crainte que l’histoire de son épaule démise ne leur parût louche. Plus de fêtes, plus de soirées au théâtre, plus de visites aux dames. Et c’était le Corso qui lui manquait surtout, une souffrance, une véritable désespérance de ne plus voir ni savoir, en regardant, de quatre à cinq heures, défiler Rome entière. Aussi, dès qu’un intime venait, c’étaient des questions interminables, et si l’on avait rencontré celui-ci, et si cet autre avait reparu, et comment avaient fini les amours d’un troisième, et si quelque aventure nouvelle ne bouleversait pas la ville : menues histoires, gros commérages d’un jour, intrigues puériles d’une heure, où jusque-là s’étaient dépensées toutes ses énergies d’homme.

Celia, qui aimait à lui apporter les bavardages innocents, reprit après un silence, en fixant sur lui ses yeux candides, ses yeux sans fond de vierge énigmatique :

— Comme c’est long à se remettre, une épaule !

Avait-elle donc deviné, cette enfant, dont l’unique affaire était l’amour ? Dario, gêné, se tourna vers Benedetta, qui continuait à sourire, l’air placide. Mais, déjà, la petite princesse sautait à un autre sujet.

— Ah ! vous savez, Dario, j’ai vu hier au Corso une dame…