Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/394

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Elle s’arrêta, surprise elle-même et embarrassée de cette nouvelle qui venait de lui échapper. Puis, très bravement, elle continua, en amie d’enfance qui était dans les petits secrets amoureux :

— Oui, une jolie personne que vous connaissez bien. Elle avait tout de même un bouquet de roses blanches.

Cette fois, Benedetta s’égaya franchement, tandis que Dario la regardait en riant aussi. Elle l’avait plaisanté, les premiers jours, de ce qu’une dame n’envoyait pas prendre de ses nouvelles. Lui, au fond, n’était pas fâché de cette rupture toute naturelle, car la liaison allait devenir gênante ; et, quoique un peu blessé dans sa fatuité de joli homme, il était content d’apprendre que la Tonietta l’avait déjà remplacé.

— Ah ! se contenta-t-il de dire, les absents ont toujours tort.

— L’homme qu’on aime n’est jamais absent, déclara Celia de son air grave et pur.

Mais Benedetta s’était levée, pour remonter les oreillers, derrière le dos du convalescent.

— Va, va, mon Dario, toutes ces misères sont finies, et je te garderai, tu n’auras plus que moi à aimer.

Il la contempla avec passion, il la baisa sur les cheveux, car elle disait vrai, il n’avait jamais aimé qu’elle ; et elle ne se trompait pas non plus, quand elle comptait le garder toujours, à elle seule, dès qu’elle se serait donnée. Depuis qu’elle le veillait, au fond de cette chambre, elle était heureuse de le retrouver enfant, tel qu’elle l’avait aimé autrefois, sous les orangers de la villa Montefiori. Il gardait une puérilité singulière, sans doute dans l’appauvrissement de sa race, cette sorte de retour à l’enfance qu’on remarque chez les peuples très vieux ; et il jouait sur son lit avec des images, regardait pendant des heures des photographies, qui le faisaient rire. Son incapacité de souffrir avait encore grandi il, voulait qu’elle fût gaie et qu’elle chantât, il l’amusait