Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/396

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Ce fut deux jours plus tard que Pierre, après une grande promenade qu’il fit au Transtévère, suivie d’une visite au palais Farnèse, sentit se résumer en lui la terrible et mélancolique vérité sur Rome. Plusieurs fois déjà, il avait parcouru le Transtévère, dont la population misérable l’attirait, dans sa passion navrée pour les pauvres et les souffrants. Ah ! ce cloaque de misère et d’ignorance ! Il avait vu, à Paris, des coins de faubourg abominables, des cités d’épouvante où l’humanité en tas pourrissait. Mais rien n’approchait de cette stagnation dans l’insouciance et dans l’ordure. Par les plus beaux jours de ce pays du soleil, une ombre humide glaçait les ruelles tortueuses, étranglées, pareilles à des couloirs de cave ; et l’odeur était affreuse surtout, une nausée qui prenait le passant à la gorge, faite des légumes aigres, des graisses rances, du bétail humain parqué là, parmi ses fientes. C’étaient d’antiques masures irrégulières, jetées dans un pêle-mêle aimé des artistes romantiques, avec des portes noires et béantes qui s’enfonçaient sous terre, des escaliers extérieurs qui montaient aux étages, des balcons de bois tenus comme par miracle en équilibre sur le vide. Et des façades à demi écroulées qu’il avait fallu étayer à l’aide de poutres, et des logements sordides dont les fenêtres crevées laissaient voir la crasse nue, et des boutiques d’infime commerce, toute la cuisine en plein air d’un peuple de paresse qui n’allumait pas de feu : les fritureries avec leurs morceaux de polenta et leurs poissons nageant dans l’huile puante, les marchands de légumes cuits étalant des navets énormes, des paquets de céleris, de choux-fleurs, d’épinards, refroidis et gluants. La viande des bouchers, mal coupée, était noire, des cous de bête hérissés de caillots violâtres, comme arrachés. Les pains des boulangers s’entassaient sur une planche, ainsi que des pavés ronds ; de pauvres fruitières n’avaient d’autres marchandises que des piments et des pommes de pin, à leurs portes enguirlandées de tomates séchées et enfilées ; tandis que les