Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/395

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par la gentillesse de son égoïsme, qui l’amenait à rêver avec elle une vie de continuelle joie. Ah ! comme cela serait bon de vivre toujours ensemble au soleil, et de ne rien faire, et de ne se soucier de rien, le monde dût-il crouler quelque part, sans qu’on se donnât la peine d’y aller voir !

— Mais ce qui me fait plaisir, reprit Dario brusquement, c’est que monsieur l’abbé a fini par tomber amoureux de Rome.

Pierre, qui avait écouté en silence, acquiesça de bonne grâce.

— C’est vrai.

— Nous vous le disions bien, fit remarquer Benedetta, il faut du temps, beaucoup de temps pour comprendre et aimer Rome. Si vous n’étiez resté que quinze jours, vous auriez emporté de nous une idée déplorable ; tandis que, maintenant, au bout de deux grands mois, nous sommes bien tranquilles, jamais plus vous ne songerez à nous sans tendresse.

Elle était d’un charme délicieux en parlant ainsi, et il s’inclina une seconde fois. Mais il avait déjà réfléchi au phénomène, il croyait en tenir la solution. Quand on arrive à Rome, on apporte une Rome à soi, une Rome rêvée, tellement ennoblie par l’imagination, que la Rome vraie est le pire des désenchantements. Aussi faut-il attendre que l’accoutumance se fasse, que la réalité médiocre s’atténue, pour donner le temps à l’imagination de recommencer son travail d’embellissement, de manière à ne voir de nouveau les choses réelles qu’à travers la prodigieuse splendeur du passé.

Celia s’était levée, prenant congé.

— Au revoir, chère, et à bientôt le mariage, n’est-ce pas ? Dario… Vous savez que je veux être fiancée avant la fin du mois, oui, oui ! une grande soirée que je forcerai bien mon père à donner… Ah ! que ce serait aimable, si les deux noces pouvaient se faire en même temps !