Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/421

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faire, occupé à violer un secret. Une rougeur intense lui envahit le visage.

Mais le cardinal, qui l’avait regardé fixement de ses yeux ternes, alla jusqu’à sa table, se laissa tomber sur son fauteuil, sans dire une parole. D’un geste, il l’avait dispensé du baisement de l’anneau.

— J’ai voulu présenter mes hommages à Votre Éminence… Est-ce que Votre Éminence est souffrante ?

— Non, non, c’est toujours ce maudit rhume qui ne veut pas me quitter. Et puis, j’ai en ce moment tant d’affaires !

Pierre le regardait, sous le jour livide de la fenêtre, si malingre, si contrefait, avec son épaule gauche plus haute que la droite, n’ayant plus rien de vivant, pas même le regard, dans son visage usé et terreux. Il se rappelait un de ses oncles, à Paris, qui, après trente années passées au fond d’un bureau de ministère, avait ce regard mort, cette peau de parchemin, cet hébétement las de tout l’être. Était-ce donc vrai que celui-ci, ce petit vieillard desséché et flottant dans sa soutane noire, lisérée de rouge, fût le maître du monde, possédant en lui à un tel point la carte de la chrétienté, sans être jamais sorti de Rome, que le préfet de la Propagande ne prenait pas la moindre décision avant de connaître son avis ?

— Asseyez-vous un instant, monsieur l’abbé… Alors, vous êtes venu me voir, vous avez quelque demande à me faire…

Et, tout en s’apprêtant à écouter, il feuilletait de ses doigts maigres les dossiers entassés devant lui, jetait un coup d’œil sur chaque pièce, ainsi qu’un général, un tacticien de science profonde, dont l’armée est au loin, et qui la conduit à la victoire, du fond de son cabinet de travail, sans jamais perdre une minute.

Un peu gêné de voir ainsi poser nettement le but intéressé de sa visite, Pierre se décida à brusquer les choses.