Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/498

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— La grande soutane, la grande soutane, gronda Santobono sourdement et comme malgré lui, à moins pourtant…

Il n’acheva pas, de nouveau vainqueur de sa passion. Et Pierre, qui écoutait en silence, s’émerveilla, car il se rappelait la conversation qu’il avait surprise, chez le cardinal Sanguinetti. Évidemment, les figues n’étaient qu’un prétexte pour forcer la porte du palais Boccanera, où quelque familier, l’abbé Paparelli sans doute, pouvait seul donner des renseignements certains à son ancien camarade. Mais quel empire cet exalté avait sur lui-même, dans les mouvements les plus désordonnés de son âme !

Aux deux côtés de la route, la Campagne continuait à dérouler à l’infini ses nappes d’herbe, et Prada regardait sans voir, devenu sérieux et songeur. Il acheva tout haut ses réflexions.

— Vous savez ce qu’on dira, l’abbé, s’il meurt cette fois… Ça ne sent guère bon, ce brusque malaise, ces coliques, ces nouvelles qu’on cache… Oui, oui, le poison, comme pour les autres.

Pierre eut un sursaut de stupeur. Le pape empoisonné !

— Comment ! le poison, encore ! cria-t-il.

Effaré, il les contemplait tous les deux. Le poison comme au temps des Borgia, comme dans un drame romantique, à la fin de notre dix-neuvième siècle ! Cette imagination lui semblait à la fois monstrueuse et ridicule.

Santobono, la face devenue immobile, impénétrable, ne répondit pas. Mais Prada hocha la tête, et la conversation ne fut plus qu’entre lui et le jeune prêtre.

— Eh ! oui, le poison, encore… À Rome, la peur en est restée vivace et très grande. Dès qu’une mort y paraît inexplicable, trop prompte ou accompagnée de circonstances tragiques, la première pensée est unanime, tout le monde crie au poison ; et remarquez qu’il n’est pas de ville, je crois, où les morts subites soient plus fréquentes, je ne sais au juste pour quelles causes, les fièvres, dit-on…