Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/501

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— N’importe, reprit le comte, ceux qui prennent leurs précautions n’ont peut-être pas tort. On dit que plus d’un cardinal frissonne et se méfie. J’en sais un qui ne mange rien que des viandes achetées et préparées par son cuisinier. Et, quant au pape, s’il a des inquiétudes…

Pierre eut un nouveau cri de stupeur.

— Comment, le pape lui-même ! le pape a la crainte du poison !

— Eh oui ! mon cher abbé, on le prétend du moins. Il est certainement des jours où il se voit le premier menacé. Ne savez-vous pas que l’ancienne croyance, à Rome, est qu’un pape ne doit pas vivre trop vieux, et que, lorsqu’il s’entête à ne pas mourir à temps, on l’aide ? Sa place est naturellement au ciel, dès qu’un pape tombe en enfance, devient une gêne, même un danger pour l’Église par sa sénilité. Les choses, d’ailleurs, sont faites très proprement, le moindre rhume est le prétexte décent pour qu’il ne s’oublie pas davantage sur le trône de Saint-Pierre.

À ce propos, il ajouta de curieux détails. Un prélat, disait-on, voulant calmer les craintes de Sa Sainteté, avait imaginé tout un système de précautions, entre autres une petite voiture cadenassée pour les provisions destinées à la table pontificale, très frugale du reste. Mais cette voiture était restée à l’état de simple projet.

— Et puis, quoi ? finit-il par conclure en riant, il faut bien mourir un jour, surtout lorsque c’est pour le bien de l’Église… N’est-ce pas, l’abbé ?

Depuis un instant, Santobono, dans son immobilité, avait baissé les regards, comme s’il eût examiné sans fin le petit panier de figues, qu’il tenait sur ses genoux avec tant de précautions, tel qu’un saint sacrement. Interpellé d’une façon si directe et si vive, il ne put éviter de relever les yeux. Mais il ne sortit pas de son grand silence, il se contenta d’incliner longuement la tête.

— N’est-ce pas, l’abbé, répéta Prada, que c’est Dieu