Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/517

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romanesques, dont le récit circulait de bouche en bouche, mouillant tous les yeux, faisant battre tous les cœurs.

C’était cette histoire que Narcisse, au dessert, en attendant dix heures, venait encore de conter à Pierre, qui la connaissait en partie. On affirmait que, si le prince avait fini par céder, après une dernière scène épouvantable, il ne l’avait fait que sur la crainte de voir Celia quitter un beau soir le palais, au bras de son amant. Elle ne l’en menaçait pas, mais il y avait, dans son calme de vierge ignorante, un tel mépris de tout ce qui n’était pas son amour, qu’il la sentait capable des pires folies, commises ingénument. La princesse, sa femme, s’était désintéressée, en Anglaise flegmatique, belle encore, qui croyait avoir assez fait pour la maison en apportant les cinq millions de sa dot et en donnant cinq enfants à son mari. Le prince, inquiet et faible dans ses violences, où se retrouvait le vieux sang romain, gâté déjà par son mélange avec celui d’une race étrangère, n’agissait plus que sous la crainte de voir crouler sa maison et sa fortune, restées jusque-là intactes, au milieu des ruines accumulées du patriciat ; et, en cédant enfin, il avait dû obéir à l’idée de se rallier par sa fille, d’avoir un pied solide au Quirinal, sans pourtant retirer l’autre du Vatican. Sans doute, c’était une honte brûlante, son orgueil saignait de s’allier à ces Sacco, des gens de rien. Mais Sacco était ministre, il avait marché si vite, de succès en succès, qu’il semblait en passe de monter encore, de conquérir, après le portefeuille de l’Agriculture, celui des Finances, qu’il convoitait depuis longtemps. Avec lui, c’était la faveur certaine du roi, la retraite assurée de ce côté, si le pape un jour sombrait. Puis, le prince avait pris des renseignements sur le fils, un peu désarmé devant cet Attilio si beau, si brave, si droit, qui était l’avenir, peut-être l’Italie glorieuse de demain. Il était soldat, on le pousserait aux plus hauts