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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/523

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— Ah ! reprit Narcisse, en s’adressant à Pierre, un homme souple et pratique, que les soufflets ne gênent pas ! Il en faut, paraît-il, de ces hommes sans scrupules, dans les États tombés en détresse, qui traversent des crises politiques, financières et morales. On dit ne celui-ci, avec son aplomb imperturbable, l’ingéniosité de son esprit, ses infinies ressources de résistance qui ne reculent devant rien, a complètement conquis la faveur du roi… Mais voyez donc, voyez donc, si l’on ne croirait pas qu’il est déjà le maître de ce palais, au milieu du flot de courtisans qui l’entoure !

En effet, les invités qui passaient en saluant devant les Buongiovanni, s’amassaient autour de Sacco ; car il était le pouvoir, les places, les pensions, les croix ; et, si l’on souriait encore de le trouver là, avec sa maigreur noire et turbulente, parmi les grands ancêtres de la maison, on l’adulait comme la puissance nouvelle, cette force démocratique, si trouble encore, qui se levait de partout, même de ce vieux sol romain, où le patriciat gisait en ruine.

— Mon Dieu ! quelle foule ! murmura Pierre. Quels sont donc tous ces gens ?

— Oh ! répondit Narcisse, c’est déjà très mêlé. Ils n’en sont plus ni au monde noir, ni au monde blanc ; ils en sont au monde gris. L’évolution était fatale, l’intransigeance d’un cardinal Boccanera ne peut être celle d’une ville entière, d’un peuple. Le pape seul dira toujours non, restera immuable. Mais, autour de lui, tout marche et se transforme, invinciblement. De sorte que, malgré les résistances, dans quelques années, Rome sera italienne… Vous savez que, dès maintenant, lorsqu’un prince a deux fils, l’un reste au Vatican, l’autre passe au Quirinal. Il faut vivre, n’est-ce pas ? Les grandes familles, en danger de mort, n’ont pas l’héroïsme de pousser l’obstination jusqu’au suicide… Et je vous ai déjà dit que nous étions ici sur un terrain neutre, car le prince Buongiovanni a compris un des premiers la nécessité de la conciliation.