Aller au contenu

Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/536

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Qu’avez-vous donc, mon cher abbé ? demanda-t-il en se mêlant de nouveau à la conversation. Vous êtes tout assombri.

Et Pierre lui ayant fait part de la mauvaise nouvelle qu’il avait reçue, son livre condamné, l’unique journée qu’il aurait le lendemain pour agir encore, s’il ne voulait pas que son voyage à Rome fût une défaite, il se récria, comme si lui-même avait besoin d’agitation, d’étourdissement, afin d’espérer quand même et de vivre.

— Bah ! bah ! ne vous découragez donc pas, on y laisse toute sa force ! C’est beaucoup qu’une journée, on fait tant de choses dans une journée ! Une heure, une minute suffit pour que le destin agisse et change les défaites en victoires.

Il s’enfiévrait, il ajouta :

— Tenez ! allons dans la salle de bal. Il paraît que c’est un prodige !

Il échangea un dernier regard tendre avec Lisbeth, tandis que Pierre et Narcisse le suivaient, tous trois se dégageant à grand'peine, gagnant la galerie voisine au milieu du flot pressé des jupes, parmi cette houle de nuques et d’épaules, d’où montait la passion qui fait la vie, l’odeur d’amour et de mort.

Dans une splendeur incomparable, la galerie se déroulait, large de dix mètres, longue de vingt, avec ses huit fenêtres qui donnaient sur le Corso, nues, sans rideaux de vitrage, incendiant les maisons d’en face. C’était une clarté éblouissante, sept paires d’énormes candélabres de marbre, que des bouquets de lampes électriques changeaient en torchères géantes, pareilles à des astres ; et, en haut, tout le long des corniches, d’autres lampes, enfermées dans des fleurs aux teintes claires, faisaient une miraculeuse guirlande de fleurs de flamme, des tulipes, des pivoines, des roses. L’ancien velours rouge des murs, lamé d’or, prenait un reflet de brasier, un ton de braise vive. Aux portes et aux fenêtres, les tentures étaient de vieille