Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/538

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monde romain avait absolument condamné la conduite indigne de Morano, rompant une liaison de trente années, à laquelle les salons s’étaient habitués, ainsi qu’à un légitime mariage. On parlait d’un caprice inavouable pour une petite bourgeoise, d’un mauvais prétexte de rupture, à la suite d’une querelle survenue au sujet du divorce de Benedetta, alors compromis. La brouille avait duré près de deux mois, au grand scandale de Rome, où persiste le culte des longues tendresses fidèles. Aussi la réconciliation touchait-elle tous les cœurs, comme une des plus heureuses conséquences du procès, gagné ce jour-là, devant la congrégation du Concile. Morano repentant, donna Serafina reparaissant à son bras, dans cette fête, c’était très bien, l’amour vainqueur, les bonnes mœurs sauvées, l’ordre rétabli.

Mais il y eut une sensation plus profonde, dès que, derrière sa tante, on aperçut Benedetta qui entrait avec Dario, côte à côte. Le jour même où son mariage venait d’être annulé, cette indifférence tranquille des ordinaires convenances, cette victoire de leur amour avouée, célébrée devant tous, apparut d’une audace si jolie, d’une telle bravoure de jeunesse et d’espoir, qu’elle leur fut aussitôt pardonnée, dans une rumeur d’universelle admiration. Comme pour Celia et Attilio, les cœurs volaient à eux, à l’éclat de beauté dont ils rayonnaient, à l’extraordinaire bonheur dont resplendissaient leurs visages. Dario, encore pâli par sa longue convalescence, était, dans sa délicatesse un peu mince, avec ses beaux yeux clairs de grand enfant, sa barbe brune et frisée de jeune dieu, d’une fierté svelte, où se retrouvait tout le vieux sang princier des Boccanera. Benedetta, la très blanche sous son casque de cheveux noirs, la très calme, la très sage, avait son beau rire, ce rire si rare chez elle, mais d’une séduction irrésistible, qui la transfigurait, donnait un charme de fleur à sa bouche un peu forte, emplissait d’une clarté de ciel l’infini de ses grands yeux sombres,