Aller au contenu

Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/574

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Si j’allais en courant le chercher ? offrit Pierre, que la scène commençait à bouleverser, lui aussi.

— Non, non ! pas vous, restez ici… Victorine va se dépêcher. Elle connaît l’adresse… Le docteur Giordano, tu sais, Victorine.

La servante partit, et un lourd silence tomba dans la pièce, où un frisson d’anxiété croissait de minute en minute. Benedetta, très pâle, était revenue près du lit, pendant que le cardinal, qui avait gardé Dario entre ses bras, la tête tombée sur son épaule, le regardait. Et un affreux soupçon venait de naître en lui, vague, indéterminé encore : il lui trouvait la face grise, le masque d’angoisse terrifiée, qu’il avait remarqué chez le plus cher ami de son cœur, monsignor Gallo, quand il l’avait ainsi tenu sur sa poitrine, deux heures avant sa mort. C’était la même syncope, la même sensation qu’il n’étreignait plus que le corps froid d’un être aimé, dont le cœur s’arrêtait ; c’était surtout la pensée grandissante du poison, venu de l’ombre, frappant dans l’ombre, autour de lui, en coup de foudre. Longtemps, il resta penché de la sorte, au-dessus du visage de son neveu, du dernier de sa race, cherchant, étudiant retrouvant les symptômes du mal mystérieux et implacable, qui lui avait déjà emporté la moitié de lui-même.

Mais Benedetta, à demi-voix, le suppliait.

— Mon oncle, vous allez vous fatiguer… Je vous en prie, laissez-le-moi, je le tiendrai un peu, à mon tour… N’ayez pas peur, je le tiendrai très doucement, il sentira que c’est moi, et ça le réveillera peut-être.

Il leva enfin la tête, la regarda ; et il lui céda la place, après l’avoir serrée et baisée éperdument, les yeux gros de larmes, toute une brusque émotion, où l’adoration qu’il avait pour elle fondait la rigide froideur qu’il affectait d’habitude.

— Ah ! ma pauvre enfant, ma pauvre enfant ! bégaya-t-il, avec un grand tremblement de chêne déraciné.