Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/580

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avec ce curé Santobono et ce panier de figues… Oui, oui ! j’ai des témoins, c’est Prada, c’est Prada !

— Non, non ! tu es folle, tais-toi !

Et il avait repris les mains de la jeune femme, il tâchait de la maîtriser de toute son autorité souveraine. Lui, qui savait l’influence que le cardinal Sanguinetti exerçait sur la tête exaltée de Santobono, venait de s’expliquer l’aventure, non pas une complicité directe, mais une poussée sourde, l’animal excité, puis lâché sur le rival gênant, à l’heure où le trône pontifical allait sans doute être libre. La probabilité, la certitude de cela avait brusquement éclaté à ses yeux, sans qu’il eût besoin de tout comprendre, malgré les lacunes et les obscurités. Cela était, parce qu’il sentait que cela devait être.

— Non, entends-tu ! ce n’est pas Prada… Cet homme n’a aucune raison de m’en vouloir, et moi seul étais visé, c’est à moi qu’on a donné ces fruits… Voyons, réfléchis ! Il a fallu une indisposition imprévue pour m’empêcher d’en manger ma grosse part, car on sait que je les adore ; et, pendant que mon pauvre Dario les goûtait seul, je plaisantais, je lui disais de me garder les plus belles pour demain… L’abominable chose était pour moi, et c’est lui qui est frappé, ah ! Seigneur ! par le hasard le plus féroce, la plus monstrueuse des sottises du sort… Seigneur, Seigneur ! vous nous avez donc abandonnés !

Des larmes étaient montées à ses yeux, tandis qu’elle, frémissante, ne semblait pas convaincue encore.

— Mais, mon oncle, vous n’avez aucun ennemi, pourquoi voulez-vous que ce Santobono attente ainsi à vos jours ?

Un instant, il resta muet, sans pouvoir trouver une réponse suffisante. Déjà, la volonté du silence se faisait en lui, dans une grandeur suprême. Puis, un souvenir lui revint, et il se résigna au mensonge.

— Santobono a toujours eu la cervelle un peu dérangée,