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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/579

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bête, la seule qu’il eût ainsi aimée passionnément. Allongeant son fin corps souple, dont la soie de cendre verte se moirait de rose au soleil, elle avait pris gentiment la figue dans sa patte, puis l’avait fendue d’un coup de bec. Mais, quand elle l’eut fouillée, elle n’en mangea que très peu, elle laissa tomber la peau, pleine encore. Lui, toujours grave, impassible, regardait, attendait. L’attente fut de trois grandes minutes. Un moment, il se rassura, il gratta la tête de la perruche, qui, pleine d’aise, se faisait caresser, tournait le cou, levait sur son maître son petit œil rouge, d’un vif éclat de rubis. Et, tout d’un coup, elle se renversa sans même un battement d’ailes, elle tomba comme un plomb. Tata était morte, foudroyée.

Boccanera n’eut qu’un geste, les deux mains levées, jetées au ciel, dans l’épouvante de ce qu’il savait enfin. Grand Dieu ! un tel crime, une si affreuse méprise, un jeu si abominable du destin ! Aucun cri de douleur ne lui échappa, l’ombre de son visage était devenue farouche et noire.

Pourtant, il y eut un cri, un cri éclatant de Benedetta, qui, ainsi que Pierre et don Vigilio, avait d’abord suivi l’acte du cardinal avec un étonnement qui s’était ensuite changé en terreur.

— Du poison ! du poison ! ah ! Dario, mon cœur, mon âme !

Mais le cardinal avait violemment saisi le poignet de sa nièce, en lançant un coup d’œil oblique sur les deux petits prêtres, ce secrétaire et cet étranger, présents à la scène.

— Tais-toi ! Tais-toi !

Elle se dégagea, d’une secousse, révoltée, soulevée par une rage de colère et de haine.

— Pourquoi donc me taire ? C’est Prada qui a fait le coup, je le dénoncerai, je veux qu’il meure, lui aussi !… Je vous dis que c’est Prada, je le sais bien, puisque monsieur Froment est revenu hier de Frascati, dans sa voiture,