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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/594

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si maternelle, voulait le malheur des amants ? Quelle indignation ou quelle tristesse aurait-elle eue, à les voir aux bras l’un de l’autre, si passionnés, si heureux ? Non, non ! les anges ne pleuraient pas, quand deux amants, même en dehors du prêtre, s’aimaient sur la terre ; au contraire, ils souriaient, ils chantaient d’allégresse. Et c’était sûrement une duperie abominable que de ne pas épuiser la joie d’aimer sous le soleil, quand le sang de la vie battait dans les veines.

— Benedetta, Benedetta ! répéta le mourant, en l’épouvante d’enfant qu’il avait de s’en aller seul ainsi, au fond de l’éternelle nuit noire.

— Me voilà, me voilà ! mon Dario… Je viens !

Puis, comme elle s’imagina que la servante, immobile pourtant, avait eu un geste pour se lever et pour l’empêcher de faire l’acte :

— Laisse, laisse, Victorine, rien au monde désormais ne peut empêcher cela, parce que cela est plus fort que tout, plus fort que la mort. Quelque chose, il y a un instant, quand j’étais à genoux, m’a redressée, m’a poussée. Je sais où je vais… Et, d’ailleurs, n’ai-je pas juré, le soir du coup de couteau ? N’ai-je pas promis d’être à lui seul, jusque dans la terre, s’il le fallait ? Que je le baise, et qu’il m’emporte ! Nous serons morts, nous serons mariés tout de même et pour toujours !

Elle revint au moribond, elle le touchait maintenant.

— Mon Dario, me voilà, me voilà !

Et ce fut inouï. Dans une exaltation grandissante, dans une flambée d’amour qui la soulevait, elle commença sans hâte à se dévêtir. D’abord, le corsage tomba, et les bras blancs, les épaules blanches resplendirent ; puis, les jupes glissèrent, et, déchaussés, les pieds blancs, les chevilles blanches, fleurirent sur le tapis ; puis, les derniers linges, un à un, s’en allèrent, et le ventre blanc, la gorge blanche, les cuisses blanches, s’épanouirent en une haute floraison blanche. Jusqu’au dernier voile, elle avait