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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/593

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l’amant élu par mon cœur, pour qu’il fût à jamais le seul maître de mon âme et de mon corps… Cette virginité dont j’étais si orgueilleuse, je l’ai défendue contre l’autre, des ongles et des dents, comme on se défend contre un loup, je l’ai défendue contre toi, avec des larmes, pour que tu n’en salisses pas le trésor, dans une fièvre sacrilège, avant l’heure sainte des délices permises… Et si tu savais quelles terribles luttes je soutenais aussi contre moi-même, pour ne pas céder ! J’avais un besoin fou de te crier de me prendre, de me posséder, de m’emporter. Car c’était toi tout entier que je voulais, et c’était moi tout entière que je te donnais, oui ! sans réserve, en femme qui sait, et qui accepte, et qui réclame tout l’amour, celui qui fait l’épouse et la mère… Ah ! mon serment à la Madone, avec quelle peine je l’ai tenu, lorsque le vieux sang soufflait chez moi en tempête, et maintenant quel désastre !

Elle se rapprocha encore, tandis que sa voix basse se faisait plus ardente.

— Tu te souviens, le soir où tu es rentré, avec un coup de couteau dans l’épaule… Je t’ai cru mort, j’ai crié de rage, à l’idée que tu allais partir, que j’allais te perdre, sans que nous eussions connu le bonheur. J’insultais la Madone, je regrettais, en ce moment-là, de ne m’être pas damnée avec toi, pour mourir avec toi, enlacés tous les deux dans une étreinte si rude, qu’il aurait fallu nous enterrer ensemble… Et dire que ce terrible avertissement ne devait servir à rien ! J’ai été assez aveugle, assez sotte, pour ne pas entendre la leçon. Te voilà frappé de nouveau, on te vole à mon amour, et tu t’en vas avant que je me sois donnée enfin, lorsqu’il en était temps encore… Ah ! misérable orgueilleuse, rêveuse imbécile !

Ce qui grondait à présent dans sa voix étouffée, c’était, contre elle-même, la colère de la femme pratique et raisonnable qu’elle avait toujours été. Est-ce que la Madone,