Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/614

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Tandis qu’il continuait à marcher doucement, Pierre était ainsi envahi peu à peu par cette haute et souveraine figure. Des détails infimes de la vie quotidienne, il montait à la vie intellectuelle, à ce rôle d’un grand pape que Léon XIII entendait certainement jouer. Il avait vu, à Saint-Paul hors les murs, se dérouler la frise interminable où sont représentés les portraits des deux cent soixante-deux papes ; et il se demandait, dans cette longue suite de médiocres, de saints, de criminels et de génies, quel était le pape auquel Léon XIII aurait voulu ressembler. Était-ce un des premiers papes, si humbles, un de ceux qui se sont succédé pendant les trois premiers siècles de vie cachée, simples chefs d’associations funéraires, pasteurs fraternels de la communauté chrétienne ? Était-ce le pape Damase, le premier grand bâtisseur, le cerveau lettré qui se plut aux choses de l’esprit, le croyant de foi vive qui ouvrit les catacombes à la piété des fidèles ? Était-ce Léon III, dont la main hardie, en sacrant Charlemagne, acheva la rupture avec l’Orient que le Grand Schisme avait déjà séparé, porta l’empire à l’Occident par l’unique et toute-puissante volonté de Dieu et de son Église, qui dès lors disposa des couronnes ? Était-ce le terrible Grégoire VII, le purificateur du temple, le souverain des rois, était-ce Innocent III, était-ce Boniface VIII, les maîtres des âmes, des peuples et des trônes, armés de l’excommunication farouche, régnant sur le moyen âge épouvanté, dans une telle domination, que jamais le catholicisme ne devait réaliser d’aussi près son rêve ? Était-ce Urbain II, était-ce Grégoire IX, ou un autre des papes dans le cœur desquels flamba la passion rouge des croisades, le besoin d’aventures saintes qui souleva les foules, qui les jeta à la conquête de l’inconnu et du divin ? Était-ce Alexandre III défendant la papauté contre l’empire, luttant jusqu’au bout pour ne rien céder de l’autorité suprême qu’il tenait de Dieu, finissant par vaincre, en posant son pied triomphal sur la tête de Frédéric Barberousse ?