Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/629

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

me voici, décidez de mon sort, mais n’aggravez pas ma punition, en me donnant le remords d’avoir fait condamner un innocent.

Sans répondre, Léon XIII continua de le regarder de ses yeux brûlants. Et il ne voyait plus Léon XIII, deux cent soixante-troisième pape, vicaire de Jésus-Christ, successeur du prince des Apôtres, souverain pontife de l’Église universelle, patriarche d’Occident, primat d’Italie, archevêque et métropolitain de la province romaine, souverain des domaines temporels de la sainte Église. Il voyait le Léon XIII qu’il avait rêvé, le messie attendu, le sauveur envoyé pour conjurer l’effroyable désastre social où sombrait la vieille société pourrie. Il le voyait avec son intelligence souple et vaste, sa fraternelle tactique de conciliation, évitant les heurts, travaillant à l’unité, avec son cœur débordant d’amour, allant droit au cœur des foules, donnant une fois encore le meilleur de son sang, en signe de l’alliance nouvelle. Il le dressait comme l’unique autorité morale, comme l’unique lien possible de charité et de paix, comme le Père enfin qui pouvait seul faire cesser l’injustice parmi ses enfants, tuer la misère, rétablir la loi libératrice du travail, en ramenant les peuples à la foi de l’Église primitive, à la douceur et à la sagesse de la communauté chrétienne. Et cette haute figure, dans le silence profond de la chambre, prenait une toute-puissance invincible, une extraordinaire majesté.

— Oh ! de grâce, écoutez-moi, Saint-Père ! Ne me frappez même pas, ne frappez personne, oh ! personne, ni un être, ni une chose, ni rien de ce qui peut souffrir sous le soleil. Soyez bon, oh ! soyez bon, de toute la bonté que la douleur du monde a dû mettre en vous !

Alors, quand il vit que Léon XIII se taisait toujours, en le laissant debout devant lui, il tomba sur les deux genoux, comme s’il croulait, éperdu sous l’émotion croissante qui faisait son cœur si lourd. Et ce fut en son être