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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/630

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une sorte de débâcle, l’amas de tous les doutes, de toutes les angoisses, de toutes les tristesses, qui l’étouffaient de nouveau, qui crevaient en un flot irrésistible. Il y avait là l’affreuse journée, les morts si tragiques de Dario et de Benedetta, dont le chagrin terrifié restait sur son cœur, en un poids inconscient, d’une pesanteur de plomb. Il y avait là tout ce qu’il avait souffert depuis qu’il était à Rome, les illusions peu à peu détruites, les intimes délicatesses blessées, le jeune enthousiasme souffleté par la réalité des hommes et des choses. Puis, c’était, plus profondément encore, toute la misère humaine elle-même, les affamés qui hurlaient, les mères aux mamelles taries qui sanglotaient en baisant leurs nourrissons, les pères sans travail qui se révoltaient, les poings serrés, l’exécrable misère, vieille comme l’humanité, dont celle-ci est rongée depuis le premier jour, qu’il avait trouvée partout, grandissante, dévorante, effrayante, sans espoir qu’on puisse la guérir jamais. Et c’était enfin, plus immense, plus inguérissable, une douleur sans nom, sans cause précise, pour rien ni pour personne, une douleur universelle, illimitée, dans laquelle il baignait et se sentait fondre, désespérément, peut-être la douleur de vivre.

— Oh ! Saint-Père, moi, je n’existe pas, et mon livre n’existe pas. J’ai désiré voir Votre Sainteté, oh ! passionnément, pour m’expliquer, pour me défendre. Et je ne sais plus, je ne retrouve plus une seule des choses que je voulais dire, et je n’ai que des larmes, des larmes qui m’étouffent…Oui, je ne suis qu’un pauvre homme, je n’ai que le besoin de vous parler des pauvres. Oh ! les pauvres, oh ! les humbles, que j’ai vus depuis deux ans dans nos faubourgs de Paris, si misérables et si douloureux, de pauvres petits que j’allais ramasser dans la neige, de pauvres petits anges qui n’avaient pas mangé depuis deux jours, des femmes que la phtisie rongeait, sans pain, sans feu, au fond de taudis immondes, des hommes jetés sur le pavé par le chômage, las de quêter du travail comme on