Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/632

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toléré et montré, en sa terrible inconscience ! Des familles entières qui vivent leur oisiveté affamées sous le soleil splendide, les vieux devenus infirmes, les pères attendant qu’un peu de travail leur tombe du ciel, les fils dormant parmi les herbes sèches, les mères et les filles traînant leur paresse bavarde, flétries avant l’âge… Oh ! Saint-Père, dès l’aurore, demain, que Votre Sainteté ouvre cette fenêtre, et qu’elle le réveille de sa bénédiction, ce grand peuple enfant, qui sommeille encore dans son ignorance et dans sa pauvreté ! Qu’elle lui donne l’âme qui lui manque, l’âme consciente de la dignité humaine, de la loi nécessaire du travail, de la vie libre et fraternelle, réglée par la seule justice ! Oui, qu’elle fasse un peuple de ce ramassis de misérables, dont l’excuse est de tant souffrir dans son intelligence et dans son corps, vivant comme la bête qui passe et meurt sans savoir, sans comprendre, et qu’on roue de coups !

Peu à peu, les sanglots l’étranglaient, il ne parla plus que secoué, emporté par sa passion.

— Et, Saint-Père, n’est-ce pas à vous que je dois m’adresser au nom des misérables ? N’êtes-vous pas le Père ? N’est-ce pas devant le Père que l’envoyé des pauvres et des humbles doit s’agenouiller, comme je suis agenouillé en ce moment ? Et n’est-ce pas au Père qu’il doit apporter l’énorme charge de leurs douleurs, en demandant pitié enfin, aide et secours, justice, oh ! surtout justice ?… Puisque vous êtes le Père, ouvrez donc la porte largement, que tout le monde puisse entrer, jusqu’aux plus petits de vos enfants, les fidèles, les passants de hasard, même les révoltés, les égarés, ceux qui entreront peut-être, à qui vous épargnerez les fautes de l’abandon. Soyez le refuge des routes mauvaises, le tendre accueil offert aux voyageurs, la lampe hospitalière toujours allumée, aperçue de loin et qui sauve dans l’orage… Et, puisque vous êtes la puissance, ô Père, soyez le salut. Vous pouvez tout, vous avez derrière vous des siècles de