Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/631

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quête une aumône, retournant à leurs ténèbres ivres de colère, avec l’unique pensée vengeresse de mettre le feu aux quatre coins de la ville. Et le soir, le terrible soir, où, dans la chambre d’épouvante, j’ai vu une mère qui venait de se suicider avec ses cinq petits, la mère tombée sur une paillasse en allaitant son nouveau-né, les deux fillettes dormant aussi là leur dernier sommeil de blondines jolies, les deux garçons foudroyés plus loin, l’un anéanti contre un mur, l’autre renversé par terre, tordu en une suprême révolte… Oh ! Saint-Père, je ne suis plus que leur ambassadeur, l’envoyé de ceux qui souffrent et qui sanglotent, l’humble délégué des humbles qui meurent de misère, sous l’exécrable dureté, l’effroyable injustice sociale. Et j’apporte à Votre Sainteté leurs larmes, et je mets à ses pieds leurs tortures, et je lui fais entendre leur cri de détresse, comme un cri monté de l’abîme, demandant justice, si l’on ne veut pas que le ciel croule… Oh ! soyez bon, Saint-Père, soyez bon !

Il avait tendu les bras, il l’implorait, en un geste de suprême appel à la pitié divine. Puis, il continua :

— Et, Saint-Père, dans cette Rome éternelle et resplendissante, est-ce que la misère aussi n’est pas affreuse ? Depuis des semaines que j’erre au hasard, dans l’attente, à travers la poussière fameuse de ses ruines, je ne fais que me heurter à des maux inguérissables, qui m’ont empli d’effroi. Ah ! tout ce qui s’effondre, tout ce qui expire, l’agonie de tant de gloire, l’affreuse mélancolie d’un monde qui se meurt d’épuisement et de faim !… Là, sous les fenêtres de Votre Sainteté, est-ce que je n’ai pas vu un quartier d’horreur, des palais inachevés, frappés d’une hérédité maudite, ainsi que des enfants rachitiques qui ne peuvent aller au bout de leur croissance, des palais en ruine déjà, devenus les refuges de toute la misère pitoyable de Rome ? Et, comme à Paris, quelle population de souffrance, étalée au plein air avec plus d’impudeur encore, toute la plaie sociale, le chancre dévorant