Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/647

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malpropre, tachée de tabac. Et il n’éprouvait plus qu’une pitié attendrie pour tant de vieillesse pure et toute blanche, qu’une profonde admiration pour l’entêtée puissance de vie qui s’était réfugiée dans les yeux noirs, qu’une déférence respectueuse de travailleur pour le large cerveau, aux vastes projets, si débordant de pensées et d’actions sans nombre.

L’audience était finie, il s’inclina profondément.

— Je remercie Votre Sainteté du paternel accueil qu’elle a daigné me faire.

Mais Léon XIII voulut bien le retenir encore une minute, en lui reparlant de la France, en lui disant son vif désir de la voir prospère, calme et forte, pour le plus grand bien de l’Église. Et Pierre, pendant cette dernière minute, eut une singulière vision, une véritable hantise. En regardant le front d’ivoire du Saint-Père, tandis qu’il songeait à son grand âge, au moindre rhume qui pouvait l’emporter, il venait, par un involontaire rapprochement, de se rappeler la scène d’usage, d’une grandeur farouche : Pie IX, Giovanni Mastaï, mort depuis deux heures, le visage couvert d’un linge blanc, entouré de la famille pontificale bouleversée ; puis, le cardinal Pecci, camerlingue, s’approchant du lit funèbre, faisant écarter le voile, tapant trois fois de son marteau d’argent sur le front du cadavre, en jetant chaque fois le cri d’appel : Giovanni ! Giovanni ! Giovanni ! Et, le cadavre n’ayant pas répondu, le camerlingue se tournait après avoir patienté quelques secondes, disait : « Le pape est mort ! » Pierre, en même temps, avait vu se dresser là-bas, rue Giulia, le cardinal Boccanera, le camerlingue, qui attendait, avec son marteau d’argent ; et il s’était imaginé Léon XIII, Joachim Pecci, mort depuis deux heures, le visage couvert d’un linge blanc, entouré de ses prélats, dans cette chambre même ; et il voyait le camerlingue qui s’approchait, faisait écarter le voile, tapait trois fois sur le front d’ivoire, en jetant chaque fois le cri d’appel : Joachim !