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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/664

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la grâce de voir son prince une fois encore !… Mon Dieu ! Elle ne fait de mal à personne, là, par terre à les regarder tous les deux, de ses beaux yeux d’amoureuse, pleins de larmes. Elle y est depuis une demi-heure, je m’étais promis de la faire sortir, si elle ne se conduisait pas bien. Mais, puisqu’elle est sage, qu’elle ne bouge seulement pas, ah ! qu’elle reste donc et qu’elle s’emplisse le cœur pour la vie entière !

Et c’était, en vérité, un spectacle sublime, que cette Pierina, cette fille d’ignorance, de passion et de beauté, foudroyée de la sorte, anéantie, au bas de la couche nuptiale, où les deux amants enlacés dormaient, dans la mort, leur première et éternelle nuit. Elle s’était affaissée sur les talons, elle avait laissé tomber ses bras trop lourds, les mains ouvertes ; et, la face levée, immobile, comme figée en une extase d’agonie, elle ne quittait plus du regard le couple adorable et tragique. Jamais visage humain n’avait paru si beau, d’une splendeur de souffrance et d’amour si éclatante, la Douleur antique, mais toute frémissante de vie, avec son front royal, ses joues de grâce fière, sa bouche de perfection divine. À quoi pensait-elle, de quoi souffrait-elle, en regardant fixement son prince, à jamais dans les bras de sa rivale ? Était-ce donc une jalousie sans fin possible qui glaçait le sang de ses veines ? Était-ce plutôt la seule souffrance de l’avoir perdu, de se dire qu’elle le voyait pour la dernière fois, sans haine contre cette autre femme qui tâchait vainement de le réchauffer, contre sa chair, aussi froide que la sienne ? Ses yeux noyés restaient doux pourtant, ses lèvres amères gardaient leur tendresse. Elle les trouvait si purs, si beaux, couchés parmi cette jonchée de fleurs ! Et, dans sa beauté à elle, sa beauté de reine qui s’ignore, elle était là sans souffle, en humble servante, en esclave amoureuse, dont ses maîtres, en mourant, ont arraché et emporté le cœur.

Sans cesse, maintenant, des personnes entraient d’un