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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/680

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pour son pays, en travaillant pour nous. Le pape de demain ! mais toute la question est là, malheur à la France, si elle ne trouve pas un continuateur de Léon XIII dans le pape de demain !

Il s’était levé de nouveau, et cette fois il partait. Jamais il ne s’était épanché de la sorte, si longuement. Mais il n’avait sûrement dit que ce qu’il voulait dire, dans un but qu’il connaissait seul, avec une lenteur, une douceur fermes, où l’on sentait chaque parole mûrie, pesée à l’avance.

— Adieu, mon cher fils, et encore une fois réfléchissez à tout ce que vous aurez vu et entendu à Rome, soyez bien sage, ne gâtez pas votre vie.

Pierre s’inclina, serra la petite main grasse et souple que le prélat lui tendait.

— Monseigneur, je vous remercie encore de vos bontés, et soyez convaincu que je n’oublierai rien de mon voyage. 

Il le regarda disparaître, dans sa soutane fine, de son pas léger et conquérant, qui croyait aller à toutes les victoires de l’avenir. Non, non, il n’oublierait rien de son voyage ! Il la connaissait, cette unité de tous les peuples en leur sainte mère l’Église, ce servage temporel, où la loi du Christ deviendrait la dictature d’Auguste, maître du monde. Et ces Jésuites, il ne doutait pas qu’ils n’aimassent la France, la fille aînée de l’Église, la seule qui put aider encore sa mère à reconquérir la royauté universelle ; mais ils l’aimaient comme les vols noirs de sauterelles aiment les moissons, sur lesquelles ils s’abattent et qu’ils dévorent. Une infinie tristesse lui était revenue au cœur, en ayant la sourde sensation que, dans ce vieux palais foudroyé, dans ce deuil et dans cet écroulement, c’étaient eux, eux encore, qui devaient être les artisans de la douleur et du désastre.

Justement, s’étant retourné, il aperçut don Vigilio, adossé à la crédence, devant le grand portrait du cardinal, la face entre les mains, comme s’il eût voulu s’anéantir,