Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/684

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pas… Ah ! c’est fini, je suis mort, cette noble maison que je croyais si sûre sera mon tombeau !

Une pitié profonde prenait Pierre pour ce malade, ce cerveau de fiévreux hanté de cauchemars, achevant de gâter sa vie manquée, dans les angoisses de la terreur persécutrice.

— Mais il faut fuir ! Ne restez pas ici, venez en France, allez n’importe où.

Stupéfait, don Vigilio le regarda, se calma un instant.

— Fuir, pourquoi faire ? En France, ils y sont. N’importe où ils y sont. Ils sont partout, j’aurais beau fuir, je serais quand même avec eux, chez eux… Non, non ! je préfère rester ici, autant mourir ici tout de suite, si Son Éminence ne peut plus me défendre.

Il avait levé sur le grand portrait de cérémonie, où le cardinal resplendissait dans sa soutane de moire rouge, un regard d’infinie supplication, où s’efforçait de luire encore un espoir. Mais la crise revint, l’agita, le submergea, dans un redoublement furieux de sa fièvre.

— Laissez-moi, laissez-moi, je vous en prie… Ne me faites pas causer davantage. Ah ! Paparelli, Paparelli ! S’il revenait, s’il nous voyait, s’il m’entendait parler… Jamais plus je ne parlerai. Je m’attacherai la langue, je me la couperai… Laissez-moi donc ! Je vous dis que vous me tuez, qu’il va revenir, et que c’est ma mort ! Allez-vous-en, oh ! de grâce, allez-vous-en !

Et don Vigilio se tourna contre le mur, comme pour s’y écraser la face, s’y murer la bouche d’un silence de tombe, et Pierre se décida à l’abandonner, craignant de provoquer un accès plus grave, s’il s’entêtait à le secourir.

Dans la salle du trône, où il rentra, Pierre se retrouva au milieu du deuil affreux de la maison, irréparable. Une autre messe y succédait à l’autre, des messes toujours dont les prières balbutiées montaient sans fin implorer la miséricorde divine, pour qu’elle accueillît avec bienveillance