Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/687

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la chrétienté entière qu’il avait dans son crâne bas, d’expression obtuse ? Continuait-il, en son rêve, derrière son masque blêmi de vieux fonctionnaire, hébété par un demi-siècle de bureaucratie étroite, sa terrible besogne de conquête, la terre soumise et gouvernée du fond de son cabinet sombre de la Propagande. Des regards de dames attendries et déférentes se fixaient sur lui, on le grondait parfois doucement de trop travailler, on voyait l’excès de son génie et de son zèle dans ces somnolences qui le prenaient partout, depuis quelque temps. Et Pierre ne devait emporter de cette Éminence toute-puissante que cette dernière image, un vieillard épuisé, se reposant dans l’émotion d’un deuil, dormant là comme un vieil enfant candide, sans qu’on pût savoir si c’était l’imbécillité commençante ou la fatigue d’une nuit passée à faire régner Dieu sur quelque continent lointain.

Deux dames partirent, trois autres arrivèrent. Donna Serafina s’était levée de son siège, avait salué, puis avait repris son attitude rigide, le buste droit, le visage dur et désespéré. Le cardinal Sarno dormait toujours. Alors, Pierre suffoqua, pris d’une sorte de vertige, le cœur battant à grands coups. Il s’inclina et sortit. Puis, comme il passait dans la salle à manger, pour se rendre au petit cabinet de travail où le cardinal Boccanera recevait, il se trouva en présence de l’abbé Paparelli, qui gardait la porte jalousement.

Quand le caudataire l’eut flairé, il sembla comprendre qu’il ne pouvait lui refuser le passage. D’ailleurs, puisque cet intrus repartait le lendemain, battu et honteux, on n’avait rien à en craindre.

— Vous désirez voir Son Éminence, bon, bon !… Tout à l’heure, attendez !

Et, jugeant qu’il avançait trop près de la porte, il le repoussa à l’autre bout de la pièce, dans la crainte sans doute qu’il ne surprît un mot.

— Son Éminence est encore enfermée avec Son Éminence