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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/688

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le cardinal Sanguinetti… Attendez, attendez là !

En effet, Sanguinetti avait affecté de rester très longtemps à genoux, devant les deux corps, dans la salle du trône. Puis, il venait aussi de prolonger sa visite à donna Serafina, pour bien marquer quelle part il prenait à la désolation de la famille. Et il était, depuis plus de dix minutes, avec le cardinal, sans qu’on entendît autre chose, par moments, au travers de la porte, que le murmure de leurs deux voix.

Mais Pierre, en retrouvant là Paparelli, fut hanté de nouveau par tout ce que don Vigilio lui avait conté. Il le regardait, si gros, si court, ballonné d’une mauvaise graisse, avec sa face molle que déformaient les rides, pareil, à quarante ans, dans sa soutane malpropre, à une très vieille fille, dont le célibat aurait fait une outre à demi détendue. Et il s’étonnait. Comment le cardinal Boccanera, ce prince superbe, qui portait si haut la tête, dans la fierté indestructible de son nom, avait-il pu se laisser envahir et dominer par un tel être, si cruellement affreux, suant à ce point la bassesse et le dégoût ? N’était-ce pas justement cette déchéance physique de la créature, cette profonde humilité morale, qui l’avaient frappé, troublé d’abord, puis séduit, comme des dons extraordinaires de salut, qui lui manquaient ? Cela souffletait sa propre beauté, son propre orgueil. Lui qui ne pouvait être déformé ainsi, qui ne parvenait pas à vaincre son désir de gloire, devait en être arrivé, par un effort de sa foi, à jalouser cet infiniment laid et cet infiniment petit, à l’admirer, à le subir comme une force supérieure de pénitence, de ravalement humain, ouvrant toutes grandes les portes du ciel. Qui dira jamais l’ascendant que le monstre a sur le héros, que le saint couvert de vermine, devenu un objet d’horreur, prend sur les puissants de ce monde, dans leur épouvante de payer leurs joies terrestres des flammes éternelles ? Et c’était bien le lion mangé par l’insecte, tant de force et d’éclat détruit par l’invisible. Ah ! être comme cette belle âme,