À son tour, Pierre s’efforça de se montrer conciliant, afin de ne pas ulcérer davantage cette âme violente et endolorie.
— Votre Éminence peut être certaine que je tâcherai de n’oublier aucune de ses bonnes paroles, pas plus que je n’oublierai le paternel accueil de Sa Sainteté Léon XIII.
Mais cette phrase parut rejeter Boccanera dans son agitation. Ce ne furent tout d’abord que des paroles sourdes, retenues à demi, comme s’il se débattait pour ne pas interroger directement le jeune prêtre.
— Ah ! oui, vous avez vu Sa Sainteté, vous avez causé avec elle, et elle a dû vous dire, n’est-ce pas ? comme à tous les étrangers qui vont la saluer, qu’elle voulait la conciliation, la paix… Moi, je ne la vois plus que dans les occasions inévitables, voici plus d’un an que je n’ai pas été admis en audience particulière.
Cette preuve publique de défaveur, cette lutte sourde qui, de même qu’au temps de Pie IX, heurtait le Saint-Père et le camerlingue, emplissait d’amertume ce dernier. Il lui fut impossible de se contenir, il parla, en se disant sans doute qu’il avait devant lui un familier, un homme sûr, qui d’ailleurs partait le lendemain.
— La paix, la conciliation, on va loin avec ces beaux mots, si souvent vides de vraie sagesse et de courage… La vérité terrible, c’est que les dix-huit années de concessions de Léon XIII ont tout ébranlé dans l’Église et que, s’il régnait longtemps encore, le catholicisme croulerait, tomberait en poudre, ainsi qu’un édifice dont on a sapé les colonnes.
Pierre, très intéressé, ne put s’empêcher de soulever des objections, pour s’instruire.
— Mais ne s’est-il pas montré très prudent, n’a-t-il pas mis le dogme à l’écart, dans une forteresse inexpugnable ? En somme, s’il paraît avoir cédé en beaucoup de points, ça n’a jamais été que dans la forme.