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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/712

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vieillesse plus ou moins lente, aboutissant à la mort ? Une Rome moderne, démocratique, grand Dieu ! Les Romes modernes s’appellent Paris, Londres, Chicago. Et il se contenta de dire avec prudence :

— Mais, en attendant ce grand travail de rénovation par le peuple, ne croyez-vous pas que vous feriez bien d’être sages ? Vos finances sont dans un si mauvais état, vous traversez de si grosses difficultés sociales et économiques, que vous courez le risque des pires catastrophes, avant d’avoir des hommes et de l’argent. Ah ! quel prudent ministre ce serait, si un de vos ministres disait à la tribune : « Eh bien ! notre orgueil s’est trompé, nous avons eu tort de nous improviser grande nation du matin au soir, il faut plus de temps, plus de labeur et de patience ; et nous consentons à n’être encore qu’un peuple jeune qui se recueille, qui travaille dans son coin pour se fortifier, sans vouloir jouer d’ici à longtemps un rôle dominateur ; et nous désarmons, nous rayons le budget de la guerre, le budget de la marine, tous les budgets d’ostentation extérieure, pour ne nous consacrer qu’à la prospérité intérieure, à l’instruction, à l’éducation physique et morale du grand peuple que nous nous jurons d’être dans cinquante ans. » Enrayer, oui ! enrayer, votre salut est là !

Orlando l’avait écouté, peu à peu assombri de nouveau, retombé à une songerie anxieuse. Il eut un geste las et vague, il dit à demi-voix :

— Non, non ! on huerait un ministre qui dirait ces choses. Ce serait un aveu trop dur qu’on ne peut demander à un peuple. Les cœurs bondiraient, sauteraient hors des poitrines. Et puis, le danger ne serait-il pas plus grand peut-être, si on laissait crouler brusquement tout ce qui a été fait ? Que d’espoirs avortés, que de ruines, que de matériaux inutilement épars ! Non ! nous ne pouvons plus nous sauver que par la patience et le courage, en avant, en avant toujours ! Nous sommes un