Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/714

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vous le voulez, les services rendus… Les deux sœurs, oui ! et elles se déchirent maintenant, elles se poursuivent d’une telle haine, que, de part et d’autre, tout bon sens paraît aboli. Mon pauvre vieux cœur en saigne de souffrance, lorsque je lis les articles que vos journaux et les nôtres échangent comme des flèches empoisonnées. Quand cessera donc ce massacre fratricide ? Quelle est celle des deux qui comprendra la première la nécessité de la paix, cette alliance des races latines qui s’impose, si elles veulent vivre, au milieu du flot de plus en plus envahissant des autres races ?

Et, gaiement, avec sa bonhomie de héros désarmé par l’âge, réfugié dans le rêve :

— Voyons, voyons, mon cher monsieur Froment, vous allez me promettre de nous aider, dès votre retour à Paris. Dans votre champ d’action, si étroit qu’il puisse être, jurez-moi de travailler à faire la paix entre la France et l’Italie, car il n’est pas de plus sainte besogne. Vous venez de vivre trois mois parmi nous, vous pourrez dire ce que vous avez vu, ce que vous avez entendu, oh ! en toute franchise. Si nous avons des torts, vous en avez sûrement aussi. Eh ! que diable ! les querelles de famille ne peuvent pas être éternelles !

Gêné, Pierre répondit :

— Sans doute. Par malheur, ce sont elles qui sont les plus tenaces. Dans les familles, quand le sang s’exaspère contre son sang, on va jusqu’au couteau et au poison. Il n’y a plus de pardon possible.

Et il n’osa dire toute sa pensée. Depuis qu’il était à Rome, qu’il écoutait et qu’il jugeait, cette querelle entre l’Italie et la France se résumait pour lui en un beau conte tragique. Il était une fois deux princesses nées d’une reine puissante, maîtresse du monde. L’aînée, qui avait hérité du royaume de sa mère, eut le chagrin secret de voir sa cadette, établie en un pays voisin, grandir peu à peu en richesse, en force, en éclat, tandis qu’elle-même