Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/715

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déclinait, comme affaiblie par l’âge, démembrée, si épuisée et si meurtrie, qu’elle se sentit battue, le jour où elle tenta un effort suprême pour reconquérir la souveraineté universelle. Aussi quelle amertume, quelle plaie toujours ouverte, à voir sa sœur se remettre des plus effroyables secousses, reprendre son gala éblouissant, régner sur la terre par sa force, par sa grâce et par son esprit ! Jamais elle ne pardonnerait, quelle que fût l’attitude à son égard de cette sœur enviée et détestée. Là était la blessure au flanc, inguérissable, cette vie de l’une empoisonnée par la vie de l’autre, cette haine du vieux sang contre le sang jeune, qui ne s’apaiserait qu’avec la mort. Et même, le jour prochain peut-être où la paix se ferait entre elles, devant l’évident triomphe de la cadette, l’autre garderait au plus profond de son cœur la douleur sans fin d’être l’aînée et la vassale.

— Tout de même comptez sur moi, reprit affectueusement Pierre. C’est en effet une grande douleur, un grand péril, que cette enragée querelle des deux peuples… Mais je ne dirai sur vous que ce que je crois être la vérité. Je suis incapable de dire autre chose. Et je crains bien que vous ne l’aimiez guère, que vous n’y soyez guère préparés, ni par le tempérament, ni par l’usage. Les poètes de toutes les nations qui sont venus et qui ont parlé de Rome, avec le traditionnel enthousiasme de leur culture classique, vous ont grisés de telles louanges, que vous me semblez peu faits pour entendre la vérité vraie sur votre Rome d’aujourd’hui. Vainement on vous ferait la part superbe, il faudrait bien en arriver à la réalité des choses, et c’est justement cette réalité que vous ne voulez pas admettre, en amoureux du beau quand même, très susceptibles, pareils à ces femmes qui ne se sentent plus en beauté et que désespère la moindre remarque sur leurs rides.

Orlando s’était mis à rire, d’un rire enfantin.

— Certainement, on doit toujours embellir un peu. À