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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/719

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de la Sabine et aux monts Albains, si prospère et si sage, que ses vingt millions d’habitants vivront dans l’unique joie d’être, après avoir réglementé la loi du travail. Oui ! oui ! Rome, la Mère, la Reine, seule sur la face de la terre, et pour l’éternité !

Béant, Pierre l’écoutait. Eh quoi ! le sang d’Auguste en venait là ? Au moyen âge, les papes n’avaient pu être les maîtres de Rome, sans éprouver l’impérieux besoin de la rebâtir, dans leur volonté séculaire de régner de nouveau sur le monde. Récemment, dès que la jeune Italie s’était emparée de Rome, elle avait aussitôt cédé à cette folie atavique de la domination universelle, voulant à son tour en faire la plus grande des villes, construisant des quartiers entiers pour une population qui n’était pas venue. Et voilà que les anarchistes eux-mêmes, en leur rage de bouleversement, étaient possédés du même rêve obstiné de la race, démesuré cette fois, une quatrième Rome monstrueuse, dont les faubourgs finiraient par envahir les continents, afin de pouvoir y loger leur humanité libertaire, réunie en une famille unique ! C’était le comble, jamais preuve plus extravagante ne serait donnée du sang d’orgueil et de souveraineté qui avait brûlé les veines de cette race, depuis qu’Auguste lui avait laissé l’héritage de son empire absolu, avec le furieux instinct de croire que le monde était légalement à elle et qu’elle avait la mission toujours prochaine de le reconquérir. Cela sortait du sol même, une sève qui avait grisé tous les enfants de ce terreau historique, qui les poussait tous à faire de leur ville la Ville, celle qui avait régné, qui régnerait, resplendissante, aux jours prédits par les oracles. Et Pierre se rappelait les quatre lettres fatidiques, le S. P. Q. R. de l’ancienne Rome glorieuse, qu’il avait retrouvées partout dans la Rome actuelle, comme un ordre de définitif triomphe donné au destin, sur toutes les murailles, sur tous les insignes, jusque sur les tombereaux de la voirie municipale qui, le matin, enlevaient