Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/718

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Mais, brusquement, Orlando avait tourné la tête, saisi d’un accès de paternelle indignation, apostrophant le jeune Angiolo Mascara.

— Et, scélérat que tu es, c’est notre Rome que tu rêves de détruire à coups de bombe, que tu parles de raser comme une vieille maison branlante et pourrie, afin d’en débarrasser à jamais la terre !

Angiolo, jusque-là silencieux, avait écouté passionnément la conversation. Sur son visage imberbe, d’une beauté de fille blonde, les moindres émotions passaient en rougeurs soudaines ; et surtout ses grands yeux bleus avaient brûlé, à entendre parler du peuple, de ce peuple nouveau qu’il s’agissait de faire.

— Oui ! dit-il lentement de sa pure voix musicale, oui ! la raser, n’en pas laisser une seule pierre ! mais la détruire pour la reconstruire !

Orlando l’interrompit d’un rire de tendre raillerie.

— Ah ! tu la reconstruirais, c’est heureux !

— Je la reconstruirais, répéta l’enfant debout, d’une voix tremblante de prophète inspiré, je la reconstruirais, oh ! si grande, si belle, si noble ! Ne faut-il pas pour l’universelle démocratie de demain, pour l’humanité enfin libre, une cité unique, l’arche d’alliance, le centre même du monde ? Et n’est-ce pas Rome qui est désignée, que les prophéties ont marquée comme l’éternelle, l’immortelle, celle en qui s’accompliront les destinées des peuples ? Mais, pour qu’elle devienne le sanctuaire définitif, la capitale des royaumes détruits où s’assembleront, une fois par an, les sages de toutes les contrées, on doit la purifier d’abord par le feu, ne rien laisser en elle des souillures anciennes. Ensuite, quand le soleil aura bu les pestilences du vieux sol, nous la rebâtirons dix fois plus belle, dix fois plus grande qu’elle n’a jamais été. Et quelle ville enfin de vérité et de justice, la Rome annoncée, attendue depuis trois mille ans, toute en or, toute en marbre, emplissant la Campagne, de la mer aux monts