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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/724

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— On a cru d’abord à une mauvaise digestion, continua Pierre. Mais le mal a si vite empiré, qu’on s’est affolé et qu’on a couru chercher le médecin…

Ah ! les yeux, les yeux de Prada ! Ils étaient devenus si désespérés, si pleins des choses les plus touchantes, les plus fortes, que le prêtre y lisait toutes les raisons décisives qui allaient l’empêcher de parler. Non, non ! il ne frapperait pas le vieillard innocent, il n’avait rien promis, il aurait cru charger d’un crime la mémoire de la morte, s’il avait obéi à sa haine dernière. Prada, lui, pendant ces quelques minutes d’angoisse, venait de souffrir une vie entière de douleur, si abominable, que tout de même un peu de justice était faite.

— Alors, acheva Pierre, quand le médecin a été là, il a formellement reconnu qu’il s’agissait d’une fièvre infectieuse. Il n’y a aucun doute… J’ai assisté ce matin aux obsèques, c’était bien beau et bien touchant.

Orlando n’insista pas. D’un geste, il se contenta de dire combien, lui aussi, avait été ému toute la matinée, en songeant à ces obsèques. Puis, comme le vieillard se tournait, rangeant les journaux sur la table, de ses mains restées tremblantes, Prada, le corps glacé d’une sueur mortelle, chancelant, s’appuyant au dossier d’une chaise pour ne pas tomber, regarda Pierre encore, d’un regard fixe, mais d’un regard très doux, éperdu de reconnaissance, qui disait merci.

— Je pars ce soir, répéta Pierre brisé, voulant rompre la conversation. Je vais vous faire mes adieux… N’avez-vous pas de commission à me donner pour Paris ?

— Non, non, aucune, dit Orlando.

Puis, tout d’un coup, se souvenant :

— Eh ! si, j’ai une commission… Vous vous rappelez, le livre de mon vieux compagnon de batailles Théophile Morin, un des Mille de Garibaldi, ce manuel pour le baccalauréat, qu’il voudrait faire traduire et adopter chez nous. Je suis bienheureux, j’ai la promesse