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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/725

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qu’on le lui prendra dans nos écoles, mais à la condition qu’il fera quelques changements… Luigi, donne-moi donc le volume qui est là, sur cette planche.

Et, quand son fils lui eut remis le volume, il montra à Pierre les notes qu’il avait écrites au crayon, sur les marges, il lui fit comprendre les modifications qu’on exigeait de l’auteur, dans le plan général de l’ouvrage.

— Soyez donc assez gentil pour porter vous-même cet exemplaire à Morin, dont l’adresse est au verso de la couverture. Vous m’épargnerez une longue lettre, vous en direz plus en dix minutes, d’une façon plus nette et plus complète, que je ne le ferais en dix pages… Et vous embrasserez Morin pour moi, vous lui direz que je l’aime toujours, ah ! de tout mon cœur d’autrefois, lorsque j’avais mes jambes et que l’un et l’autre nous nous battions comme des diables, sous la pluie des balles !

Il y eut un court silence, ce silence, cette gêne attendrie de la minute du départ.

— Allons, adieu ! embrassez-moi pour lui et pour vous, embrassez-moi tendrement, ainsi que le petit Angiolo m’a tout à l’heure embrassé… Je suis si vieux et si fini, mon cher monsieur Froment, que vous me permettez bien de vous appeler mon enfant et de vous embrasser comme un aïeul, en vous souhaitant le courage et la paix, la foi en la vie qui seule aide à vivre.

Pierre fut si touché, que des larmes lui montèrent aux yeux, et lorsqu’il baisa de toute son âme, sur les deux joues, le héros foudroyé, il le sentit lui aussi qui pleurait. D’une main vigoureuse encore, pareille à un étau, il le retint un instant, contre son fauteuil d’infirme, tandis que de l’autre, d’un geste suprême, il lui montrait une dernière fois Rome, immense dans son deuil, sous le ciel de cendre. Sa voix se fit basse, frémissante et suppliante.

— Et, de grâce, jurez-moi de l’aimer quand même, malgré tout, car elle est le berceau, elle est la mère !