Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/730

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— Comment ! dans cette maison, ils ont un Botticelli sans le savoir ! Ah ! que je reconnais bien là mes princes romains, incapables la plupart de se reconnaître parmi leurs chefs-d’œuvre, si l’on n’a pas collé des étiquettes dessus !… Un Botticelli qui a un peu souffert sans doute, mais dont un simple nettoyage ferait une merveille, une toile fameuse, que je crois estimer trop bas en disant qu’un musée la paierait…

Brusquement, il se tut, il ne dit pas le chiffre, achevant la phrase d’un geste vague. La soirée s’avançait, et comme Victorine entrait, suivie de Giacomo, pour mettre le couvert sur la petite table, il tourna le dos au Botticelli, il n’en souffla plus mot. Mais Pierre, dont l’attention était éveillée, devinait tout le travail qui se faisait au fond de lui, en le trouvant maintenant si froid, avec ses yeux mauves devenus d’un bleu d’acier. Il n’ignorait plus que, sous le garçon angélique, sous le Florentin d’emprunt, il y avait un gaillard rompu aux affaires, menant admirablement sa fortune, un peu avare même, disait-on. Et il eut un sourire, lorsqu’il le vit se planter devant l’affreuse Vierge, une mauvaise copie d’une toile du dix-huitième siècle, pendue à côté du chef-d’œuvre, en s’écriant :

— Tiens ! ce n’est pas mal du tout ! Et moi qu’un ami a chargé de lui acheter quelques vieux tableaux… Dites donc, Victorine, maintenant que voilà donna Serafina et le cardinal seuls, croyez-vous qu’ils se débarrasseraient volontiers de certaines toiles sans valeur ?

La servante leva les deux bras, comme pour dire que, si ça dépendait d’elle, on pouvait bien tout emporter.

— Oh ! monsieur, à un marchand, non ! à cause des vilains bruits qui courraient tout de suite ; mais à un ami, je suis certaine qu’ils seraient heureux de faire ce plaisir. La maison est lourde, l’argent y serait le bienvenu.